Léo ouvrit un œil, juste un, pour évaluer si le jour valait la peine d’être affronté. Une lumière douce filtrait à travers les volets, promesse d’une matinée tiède et sans urgence. Il referma l’œil. Il était huit heures, ou peut-être dix. Qu’importe. Le temps, chez Léo, n’était pas une ligne droite mais une flaque. On y pataugeait sans destination précise, en laissant des ronds se former et s’effacer à leur rythme.

« Glandouille un jour, glandouille toujours », marmonna-t-il en s’étirant paresseusement sous les draps. C’était son credo, sa boussole. Non pas par manque d’ambition, mais par amour du contre-courant. Pendant que le monde s’activait, répondait à des mails urgents (qu’aucun historien ne jugerait jamais dignes d’être notés), Léo pratiquait l’art subtil de ne rien faire. Et il le faisait bien.

Il se leva enfin, non par nécessité, mais parce qu’un rayon de soleil avait atteint la cafetière. Le café coulait lentement, chaque goutte tombant avec la solennité d’un sablier qui refuse de presser qui que ce soit. Assis sur le rebord de la fenêtre, Léo regarda la rue s’agiter : des silhouettes couraient, téléphones à la main, visages tendus par des objectifs invisibles.

Il sourit. Là-bas, dans le flux, on appelait ça de la paresse. Ici, dans son royaume de lenteur, c’était de la résistance poétique. Il ouvrit un carnet poussiéreux, griffonna quelques mots : « Le temps qu’on perd est parfois le seul qu’on gagne. » Puis il referma le carnet, satisfait, comme un sculpteur achevant un chef-d’œuvre en une seule ligne.

L’après-midi arriva sans qu’il n’ait décidé quoi que ce soit. Il observa les ombres changer de place, comme un spectacle discret offert aux rares spectateurs qui prenaient le temps de lever les yeux. Un ami l’appela pour lui proposer un projet « super excitant, à rendre pour la fin de la semaine ». Léo rit doucement, déclina poliment. Il avait déjà un emploi du temps chargé : écouter le vent, suivre la course des nuages, méditer sur l’inutilité des deadlines.

Le soir, il s’installa sur son canapé, un livre à la main, qu’il feuilleta sans vraiment lire. Il préférait les phrases glanées au hasard, comme des coquillages sur une plage : inutiles, mais belles. La lune monta, les rues se vidèrent, et Léo, fidèle à lui-même, se promit de recommencer demain.

Après tout, glandouille un jour, glandouille toujours. Et certains serments méritent d’être tenus.