Léa avait posé son téléphone dans un tiroir depuis huit jours. Elle l’avait refermé d’un geste doux mais déterminé, comme on claque une porte sans bruit, pour ne pas déranger les oiseaux. Depuis, plus de notifications, plus de réunions surprises, plus de livraisons à suivre sur des cartes miniatures. Juste le silence, un silence un peu bourdonnant, plein de pensées enroulées comme des chats au soleil.

Son appartement donnait sur une petite cour pavée où un arbre avait poussé sans autorisation. Elle avait déplacé une chaise longue en plastique turquoise, posée là comme un souvenir de vacances, pour s’y installer en fin de matinée, encore en pyjama. Elle s’était munie de son thermos de thé vert et d’un carnet sans lignes, sur lequel elle dessinait des spirales et des lapins qui pleurent.

Ce matin-là, alors qu’elle essayait de dessiner une théière qui sourit, un bonze bronzé surgit dans la cour, tenant délicatement un bonsaï dans ses bras. Il avait l’air confus mais pas pressé. Il portait une robe safran qui flottait comme une voile dégonflée, et ses sandales étaient faites d’un matériau indécis, entre liège et mousse.

— Excusez-moi, dit-il en s’inclinant très légèrement. Auriez-vous vu passer mon banzai ?

Léa, sans lever un sourcil, hocha lentement la tête.

— Votre quoi ?
— Mon banzai. Pas mon bonsaï, précisa-t-il en caressant tendrement l’arbre miniature. Lui, je l’ai. Mais mon banzai… c’est un cri. Un cri que j’ai perdu.

Léa se redressa un peu, s’appuya sur un coude.
— Un cri de guerre ?
— Non, un cri de paix. Je le lançais chaque matin pour célébrer la lenteur. Ça faisait banzaiiiiiiiiii, en très long. Mais ce matin… rien. Juste un soupir.

Elle se gratta l’oreille, puis lui fit signe de s’asseoir sur le rebord de la fenêtre.
— Vous l’avez peut-être trop utilisé. Il s’est dissipé dans l’air.

Le bonze soupira à nouveau. Le bonsaï frissonna dans ses bras.

— Peut-être, admit-il. Ou alors je me suis laissé emporter par le tumulte des choses inutiles. J’ai accepté une invitation à un brunch.

— Ah. L’erreur classique, fit Léa gravement.

Ils restèrent là, en silence, à écouter une goutte tomber d’un robinet invisible. Puis, comme sans y penser, Léa laissa échapper un petit banzai… timide, prolongé comme un bâillement.

Le bonze tourna lentement la tête vers elle. Ses yeux pétillèrent. Il répondit par un banzaiiiiiii… plus assuré. Le bonsaï sembla sourire.

Et dans cette cour pavée où rien ne se passait jamais, ils restèrent, côte à côte, sans bouger. Le cri retrouvé vibrait doucement dans l’air tiède. Il n’avait plus rien d’un cri. C’était presque un ronronnement.

Et Léa se dit que glandouiller dans la joie, c’était peut-être simplement ça : faire un peu de place pour les cris perdus, les arbres miniatures, et les inconnus en sandales.